L’HÉRITAGE D’OCTOBRE
René Berthier

Extrait de :

Octobre 1917 : le Thermidor de la révolution russe

Editions CNT Région parisienne

Article mis en ligne le 10 août 2011
dernière modification le 6 novembre 2016

par Eric Vilain

La révolution russe provoqua un traumatisme dans le mouvement libertaire international dont, pensons-nous, il ne s’est pas encore remis.

Le soutien que certains anarchistes russes avaient apporté aux bolcheviks était fondé à l’origine sur le rejet, par ces derniers, de l’héritage parlementariste de la social-démocratie. Il leur avait tout d’abord semblé que c’étaient les bolcheviks qui s’étaient ralliés à leurs positions. Bien que ces illusions furent de courte durée, les libertaires russes continuèrent de soutenir le régime contre les menaces de rétablissement de l’ordre antérieur.
Il y a cependant un contraste curieux entre la rapidité et la pertinence avec laquelle les anarchistes analysèrent la nature du régime – les résolutions du mouvement anarcho-syndicaliste en font foi – et l’absence de réaction organisée et cohérente du mouvement en Russie, alors même que pendant ce temps les libertaires ukrainiens développaient à la fois une lutte armée et des réalisations constructives au niveau de l’organisation économique. Les choses se passent comme si, au sein de l’anarchisme russe, il n’y ait pas eu de relais avec les combats des anarchistes ukrainiens. « Que l’on imagine ce qu’une organisation du type de l’Alliance bakouninienne aurait pu réaliser, dit Alexandre Skirda : adopter un point de vue général, le faire connaître, définir une ligne de conduite pratique et la mettre en œuvre. »

Anatole Gorelik fait le constat qu’un front uni des libertaires n’a pas été réalisé : « Si cela s’était produit, il y aurait eu bien moins de victimes et les résultats du travail libertaire auraient été meilleurs. En tout cas, les anarchistes ne se seraient pas trouvés sous le talon des bolcheviks et les organisations ouvrières et paysannes d’orientation libertaire auraient pu être créées. Mais seule la base libertaire, plus révolutionnaire que les leaders anarchistes, œuvrait au sein des masses. »

L’écrasement de l’insurrection de Kronstadt et du mouvement makhnoviste ne sont pas des événements sortis du néant, ils ne sont que l’aboutissement d’un processus commencé longtemps avant. Certains anarchistes continueront de collaborer avec les bolcheviks, parfois en adhérant au parti, comme Victor Serge, ex-théoricien de l’individualisme. Dans une brochure publiée en France en 1921, Les Anarchistes et l’expérience de la révolution russe il invite à « procéder à une révision complète et méthodique de nos idées. Ne pas craindre de porter une main sacrilège sur de vieux dogmes très respectés » (p. 5) en tenant compte du fait nouveau que constitue « la victoire de la révolution sociale en Russie » (p. 7) qui est en grande partie « l’œuvre du bolchevisme ».