Ernest Mandel, la révolution russe de 1905 et la fin du syndicalisme révolutionnaire
Article mis en ligne le 13 janvier 2013
dernière modification le 15 avril 2015

par Eric Vilain

Alors même que la révolution russe de 1905 confirmait la validité des thèses du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarcho-syndicalisme, Ernest Mandel situe à cette même date la fin du syndicalisme révolutionnaire en Russie, dans un curieux texte intitulé « Rosa Luxemburg et la social-démocratie allemande ».

« …la révolution russe de 1905 fit apparaître une combinaison imprévue de part et d’autre : l’action dire1cte des masses, mais de masses qui, loin de se complaire dans l’état d’inorganisation et de spontanéité, s’organisent précisément par suite de l’action et en vue d’actions futures encore plus audacieuses . »

Mandel ne fait qu’évoquer la grève générale, mais il pense que « la révolution de 1905 sonnait le glas du syndicalisme révolutionnaire en Russie ». L’argument sur lequel il s’appuie nous semble quelque peu sommaire : puisque le fondement de la doctrine du syndicalisme révolutionnaire est la grève générale, et que la social-démocratie a intégré dans sa doctrine l’idée de grève générale, cela, ipso facto, disqualifie le syndicalisme révolutionnaire.
De retour de Russie, Rosa Luxembourg affirma que c’est par la lutte que les travailleurs peuvent s’organiser et s’auto-émanciper, ce qui lui valut d’être traitée d’« anarchiste » par les social-démocrates allemands. Il est vrai que le fait d’envisager une action de masse de la classe ouvrière était pour les socialistes allemands quelque chose de totalement inédit, voire d’effrayant.
« Pendant longtemps, ajoute Mandel, les syndicalistes révolutionnaires avaient opposé le mythe de la grève générale à l’électoralisme social-démocrate, et ce au moment même où la grève générale triomphait pour la première fois quelque part en Europe ! » En somme la légitimité du discours syndicaliste révolutionnaire tient au fait qu’il s’oppose à l’électoralisme de la social-démocratie. Lénine aurait ainsi compris, mais seulement après 1914, que « cet effacement des syndicalistes révolutionnaires en Russie s’explique par le fait que la social-démocratie russe et polonaise (ou du moins son aile radicale), loin de s’opposer à la grève de masse ou de la freiner de quelque manière que ce soit, en devint l’organisatrice et la propagatrice enthousiaste, c’est-à-dire surmonta définitivement le vieux dualisme : “action graduelle–action révolutionnaire” ».
Le syndicalisme révolutionnaire se définirait donc par le seul fait, ou du moins essentiellement, par le recours à la grève générale, un « mythe » selon Mandel. Mais du simple fait que la social-démocratie russe (et polonaise) en devient l’organisatrice, le syndicalisme révolutionnaire se trouve de fait éliminé de la scène. C’est là une vision caractéristique de la tendance « impérialiste » du marxisme : puisque la social-démocratie adopte une pratique qui caractérise le syndicalisme révolutionnaire, ce n’est pas la social-démocratie qui s’aligne sur le syndicalisme révolutionnaire, c’est au contraire ce dernier qui devient caduc…