James Guillaume : KARL MARX PANGERMANISTE ET L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS
Article mis en ligne le 6 septembre 2017

par Eric Vilain

James Guillaume a écrit en 1914 un petit livre, publié en 1915, intitulé « Karl Marx pangermaniste et l’Association internationale des travailleurs de 1864 à 1870 ».

Ce livre est souvent considéré par les anarchistes anglophones comme étant « germanophobe » parce que Marx y est qualifié de « pangermaniste ». En fait, le livre n’étant pas traduit en anglais, les opinions émises sur lui se fondent souvent sur des sources de seconde main, hostiles à l’anarchisme, comme par exemple Hal Draper dont la mauvaise foi et la manipulation des textes battent des records. Parmi ceux qui n’ont pas lu le livre, il y a également ceux qui se fondent tout simplement sur le titre du livre et qui estiment qu’accuser Marx de « pangermanisme » est une attitude "germanophobe".

Le pangermanisme est un mouvement qui aspire à l’unification des tous les peuples germaniques dans le même Etat.
Qualifier une personne de « pangermaniste » n’est pas en soi une attitude germanophobe. Que James Guillaume ait tort ou raison de qualifier Marx de « pangermaniste » est une autre affaire : il faut simplement examiner si les arguments qu’il avance sont pertinents ou non. Mais cela n’en fait pas pour autant un « germanophobe » ou un « raciste anti-allemand ». Comme Bakounine, il sait faire la distinction entre le peuple allemand, le prolétariat allemand, et la société officielle, nobiliaire, bourgeoise et étatique de l’Allemagne.

La question est de savoir sur quoi il se fonde pour accuser Marx d’être « pangermaniste » et s’il a quelque raison de proférer cette accusation.
Or si on considère le contexte de l’époque de la guerre franco-prussienne et les documents alors accessibles, on ne peut pas reprocher à quelqu’un de se poser des questions lorsqu’il lit un texte datant du début de la guerre de 1870 disant que « Bismarck travaille pour nous », ou lorsque Marx reproche aux social-démocrates de Brunswick d’avoir signé un appel internationaliste, ou lorsqu’il reproche à Wilhelm Liebknecht d’avoir voté les crédits de Guerre au Reichstag, ou lorsque Marx se réjouit de la défaite française parce qu’elle va favoriser la constitution de l’unité allemande et transférer le centre de gravité du mouvement ouvrier européen de France en Allemagne, permettant la victoire de « notre » théorie (le marxisme) sur celle de Proudhon.
Tout cela suscite nécessairement des questions chez le lecteur. Et même si le lecteur d’aujourd’hui doit prendre du recul, Marx et Engels eux-mêmes ont fourni des arguments à ceux qui les considèrent comme « pangermanistes ». On comprend également que les problèmes soulevés lors de la défaite française de 1871 et de l’écrasement de la Commune de Paris, fasse resurgir des inquiétudes au début de la guerre commencée en août 1914.

On a accusé Bakounine, y compris dans le mouvement anarchiste, de dire qu’il y avait connivence entre Marx et Bismarck. C’est totalement faux. Il dit au contraire : « Loin de moi la pensée d’établir une ombre de solidarité consciente entre M. de Bismarck et les chefs du Parti de la Démocratie socialiste ouvrière d’Allemagne ! Je ne pense pas seulement, je sais pertinemment, qu’il n’y a absolument rien de commun entre eux, et qu’ils sont au contraire des ennemis acharnés. » (« Aux compagnons de la Fédération jurassienne », Oeuvres, Champ libre, III, 30.) Mais malgré les oppositions flagrantes entre le programme bismarckien et le programme socialiste, il y a entre eux un trait commun, dit Bakounine : « tous les deux tendent à la formation d’un grand Etat centralisé, unitaire et pangermanique ». Bismarck veut ériger cet empire au moyen de la noblesse bureaucratique et militaire et du monopole des grandes compagnies financières, tandis que les chefs de la démocratie socialiste « veulent le fonder sur l’émancipation économique du prolétariat ». « Mais l’un aussi bien que les autres sont éminemment patriotes, et dans ce patriotisme politique, sans le vouloir et sans le chercher ils se rencontrent – la logique des tendances et des situations étant toujours plus forte que la volonté des individus 18 » (Oeuvres, Champ libre, III, 30).