RADIO LIBERTAIRE. — INTERVIEW : Théorie critique du bolchevisme.
Avec René Berthier
Article mis en ligne le 31 août 2018
dernière modification le 3 septembre 2018

par Eric Vilain

http://www.ekouter.net/theorie-critique-du-bolchevisme-avec-rene-berthier-sur-radio-libertaire-3758

Enregistré en 2017
Posté le 21.06.2018
Durée : 1 heures 21 minutes 23 secondes

Description :
À l’occasion du centenaire de la Révolution bolchévique, René Berthier, auteur d’Octobre 1917. Le Thermidor de la Révolution russe, nous propose une théorie critique du bolchévisme comme idéologie et comme politique.
Cet événement d’une ampleur jamais vue allait bouleverser le monde et orienter durablement le destin de la classe ouvrière internationale. Il appartient maintenant aux historiens de le restituer dans toute sa complexité en montrant l’extraordinaire vitalité et diversité des expériences que les acteurs de cette révolution ont tenté de mettre en place.

Émission "Sortir du capitalisme", animée par Armel Campagne.

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Théorie critique du bolchévisme
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À l’occasion du centenaire du coup d’Etat d’Octobre 1917, une théorie critique du bolchévisme comme idéologie et comme politique – avec René Berthier, auteur d’Octobre 1917. Le Thermidor de la Révolution russe (CNT – Région parisienne, 1997).
Avec une théorie critique du léninisme, de sa stratégie révolutionnaire autoritaire, de son opportunisme théorique comme pratique, et enfin de sa politique de noyautage des soviets, des syndicats et des conseils d’usines [1ère partie, 30 minutes]

Avec une théorie critique du capitalisme d’Etat comme idéal pragmatique de Lénine, du centralisme bolchévique, de son scientisme et de sa logique d’élimination des oppositions en-dehors et au sein du parti [2ème partie, 40 minutes]

Liens

L’autre émission au sujet de 1917
http://sortirducapitalisme.fr/240-revolution-et-contre-revolution-en-russie-en-1917-avec-alexandre-skirda

Les notes de lecture au sujet de 1917 et du bolchévisme
http://sortirducapitalisme.fr/notes-de-lecture/225-otto-ruhle-la-revolution-n-est-pas-une-affaire-de-parti

http://sortirducapitalisme.fr/notes-de-lecture/227-voline-la-revolution-russe
Autres émissions

http://sortirducapitalisme.fr/156-un-siecle-apres-l-affrontement-inter-capitaliste-une-histoire-du-mouvement-revolutionnaire-1881-1914-avec-guillaume-davranche

Les bolchéviques

« À l’ordre du jour s’inscrivent en particulier les mesures à prendre pour renforcer la discipline et accroître la productivité du travail. […] Il s’agit, par exemple, d’introduire le salaire aux pièces, d’appliquer les nombreux éléments scientifiques et progressifs que contient le système Taylor […] La soumission pendant le travail, et une soumission absolue aux ordres personnels des dirigeants soviétiques, dictateurs élus ou nommés par les institutions soviétiques, investis de pleins pouvoirs dictatoriaux […], est assurée d’une façon encore insuffisante » (Lénine, Œuvres, tome 27, pp. 329-330, cité dans Skirda 2000, p. 88)

« Qu’est-ce que le capitalisme d’Etat sous le pouvoir des soviets ? Etablir à présent le capitalisme d’Etat, c’est appliquer le recensement et le contrôle qu’appliquaient les classes capitalistes […] L’Allemagne nous offre un modèle de capitalisme d’Etat […] Mais si vous réfléchissez un tant soit peu à ce que signifierait en Russie, dans la Russie des soviets, la réalisation des bases de ce capitalisme d’Etat, quiconque a gardé son bon sens […] devra dire que le capitalisme d’Etat serait pour nous le salut » (Lénine, Œuvres, tome 27, p. 305, cité dans Skirda 2000, p. 90).

« Quatrième argument des avocats de la bourgeoisie : le prolétariat ne pourra pas « faire fonctionner » l’appareil d’Etat. Cet argument n’offre rien de nouveau par rapport au précédent. Naturellement, nous ne pourrions ni assimiler techniquement l’ancien appareil, ni le faire fonctionner. Le nouvel appareil, les Soviets, est déjà mis en mouvement par le « puissant essor créateur des forces populaires ». Il suffit de dégager cet appareil des entraves qui lui ont été imposées par la domination des chefs socialistes-révolutionnaires et menchéviks. Cet appareil fonctionne déjà ; il suffit de rejeter ce monstrueux attirail petit-bourgeois qui l’empêche d’avancer toujours à pleine vitesse. […]
Le monopole des céréales, la carte de pain n’ont pas été créés par nous, mais par l’Etat capitaliste en guerre. C’est lui qui a d’ores et déjà créé l’obligation générale du travail dans le cadre du capitalisme, – ce qui est un bagne militaire pour les ouvriers. Mais ici encore, comme dans toute son œuvre historique, le prolétariat emprunte ses armes au capitalisme, il ne les « imagine » pas, il ne les « tire pas du néant ». […] Ce moyen de contrôle, cette obligation du travail sont autrement puissants que les lois de la Convention et que sa guillotine. La guillotine n’était qu’un épouvantail qui brisait la résistance active. Cela ne nous suffit pas. […]
Nous ne devons pas seulement « épouvanter » les capitalistes, c’est-à-dire leur faire sentir la toute-puissance de l’Etat prolétarien et leur faire oublier l’idée d’une résistance active contre lui. Nous devons briser aussi leur résistance passive, incontestablement plus dangereuse et plus nuisible encore. Nous ne devons pas seulement briser toute résistance, quelle qu’elle soit. Nous devons encore obliger les gens à travailler dans le cadre de la nouvelle organisation de l’Etat. Il ne suffit pas de « flanquer à la porte » les capitalistes, il faut (après avoir flanqué à la porte les « récalcitrants » bons à rien et incurables) les mettre au service du nouvel Etat. Ceci concerne autant que les capitalistes une certaine couche des dirigeants intellectuels bourgeois, des employés, etc. Et nous avons les moyens de le faire. L’Etat capitaliste en guerre nous a lui-même mis entre les mains les moyens et les armes pour cela. Ces moyens, ce sont le monopole des céréales, la carte de pain, l’obligation générale du travail. « Qui ne travaille pas ne mange pas », telle est la règle fondamentale, la règle première, essentielle que peuvent appliquer et qu’appliqueront les Soviets de députés ouvriers, quand ils accéderont au pouvoir. […]
Les Soviets institueront le livret de travail pour les riches, et ensuite progressivement pour toute la population (dans un pays agricole, il est vraisemblable que pendant longtemps le livret de travail ne sera pas nécessaire pour l’immense majorité des paysans). Le livret de travail cessera d’être le signe qu’on fait partie de la « plèbe », il cessera d’être l’attribut des classes « inférieures », la preuve de l’esclavage salarié. Il deviendra la preuve que dans la nouvelle société il n’y a plus d’ « ouvriers », mais que par contre il n’y a plus personne qui ne soit un travailleur. […]
Nous aurons besoin de bons organisateurs du système bancaire, de gens capables de grouper les entreprises (dans ce domaine, les capitalistes ont plus d’expérience et avec des gens expérimentés, le travail marche mieux) ; il nous faut en nombre toujours plus grand que par le passé des ingénieurs, des agronomes, des techniciens, des spécialistes de tout genre, instruits et cultivés, dira l’Etat prolétarien. A tous ces travailleurs nous donnerons un travail approprié à leurs forces et à leurs habitudes ; nous n’instituerons vraisemblablement que peu à peu l’égalité des salaires dans toute la mesure du possible, laissant pendant la période transitoire un salaire plus élevé aux spécialistes, mais nous les soumettrons au contrôle total des ouvriers, nous obtiendrons la mise en application complète et sans réserve de la règle : « qui ne travaille pas ne mange pas ».
Et nous n’inventons pas une forme d’organisation du travail, nous l’empruntons toute faite au capitalisme : banques, cartels, usines modèles, stations expérimentales, académies, etc. ; il nous suffira d’emprunter les meilleurs types d’organisation à l’expérience des pays avancés. Et, naturellement, nous ne tomberons pas le moins du monde dans l’utopie, nous n’abandonnerons pas le terrain du calcul le plus sensé et le plus pratique, si nous disons : la classe capitaliste dans son ensemble opposera la résistance la plus acharnée, mais l’organisation de la population tout entière dans les Soviets brisera cette résistance, et il faudra, cela va de soi, punir par la confiscation de tous leurs biens et par la prison les capitalistes particulièrement obstinés et récalcitrants. » (Lénine, « Les bolchéviks garderons-ils le pouvoir ? » [Octobre 1917], Œuvres, t. 26, pp. 81-134, je souligne).

« Dans toute révolution socialiste, lorsque le prolétariat a réglé le problème de la prise du pouvoir, et à mesure que s’accomplit, dans ses grandes lignes, la tâche qui consiste à exproprier les expropriateurs et à écraser leur résistance, une tâche essentielle passe inéluctablement au premier plan : réaliser une structure sociale supérieure à celle du capitalisme, c’est-à-dire augmenter la productivité du travail et, en rapport avec cela (et pour cela), organiser le travail sur un mode supérieur. […]
Pour atteindre l’essor économique, il faut encore développer la discipline des travailleurs, leur habileté au travail, leur diligence, intensifier et mieux organiser le travail. […] L’avant-garde la plus consciente du prolétariat de Russie s’est déjà assigné la tâche de développer la discipline du travail. […] Il faut inscrire à l’ordre du jour, introduire pratiquement et mettre à l’épreuve le salaire aux pièces ; appliquer les nombreux éléments scientifiques et progressifs que comporte le système Taylor, proportionner les salaires au bilan général de telle ou telle production ou aux résultats de l’exploitation des chemins de fer, des transports par eau, etc., etc. […] Comparé aux nations avancées, le Russe travaille mal. […]
Apprendre à travailler, voilà la tâche que le pouvoir des soviets doit assigner au peuple dans toute son ampleur. Le dernier mot du capitalisme sous ce rapport, le système Taylor, de même que tous les progrès du capitalisme, combine la cruauté la plus raffinée de l’exploitation bourgeoise aux conquêtes scientifiques les plus précieuses […]. La république des Soviets doit faire siennes, coûte que coûte, les conquêtes les plus précieuses de la science et de la technique dans ce domaine […]. Nous pourrons réaliser le socialisme justement dans la mesure où nous aurons réussi à combiner le pouvoir soviétique et le système soviétique de gestion avec les plus récents progrès du capitalisme. […] Il faut […] que l’in use des moyens de contrainte, de façon que le mot d’ordre de dictature du prolétariat ne soit pas discrédité par l’état de déliquescence du pouvoir prolétarien dans la vie pratique […].
Il faut dire que toute grande industrie mécanique, qui constitue précisément la source et la base matérielle de production du socialisme, exige une unité de volonté rigoureuse […]. Mais comment assurer une rigoureuse unité de volonté ? Par la soumission de la volonté de milliers de gens à celle d’une seule. Cette soumission […] pourra revêtir des formes tranchées, dictatoriales, si la parfaite discipline et conscience font défaut » (Lénine, « Les tâches immédiates du pouvoir des soviets », Œuvres, tome 27, je souligne, cité dans Skirda 2000, pp. 109-110).

« Le capitalisme d’Etat serait un pas en avant par rapport à l’état actuel des choses dans notre république des Soviets. Si dans six mois par exemple, nous avions instauré chez nous le capitalisme d’Etat, ce serait un immense succès […]. Tant que la révolution tarde encore à éclore en Allemagne, notre devoir est de nous mettre à l’école du capitalisme d’Etat des Allemands, de nous appliquer de toutes nos forces à l’assimiler, de ne pas ménager les procédés dictatoriaux pour l’implanter en Russie encore plus vite que ne l’a fait Pierre le Grand pour les mœurs occidentales dans la vieille Russie barbare, sans reculer devant l’emploi de méthodes barbares contre la barbarie » (Lénine, « Sur l’infantilisme de gauche et les idées petites-bourgeoises, mai 1918 », Œuvres, tome 27, pp. 337-370).

« On appelle prolétariat la classe occupée à produire les biens matériels dans les entreprises de la grande industrie capitaliste. Etant donné que la grande industrie capitaliste est ruinée et que les fabriques et usines sont immobilisées, le prolétariat a disparu [sic]. […] Si le capitalisme se rétablit [sous la forme du capitalisme d’Etat], ce sera aussi, par conséquence, le rétablissement de la classe du prolétariat [sic] » (Lénine, Œuvres, tome 33, p. 59).

« L’État doit devenir un « patron » […], un négociant en gros » (Lénine, Œuvres, tome 33, p. 51).

« Le recensement et le contrôle, telle est la tâche économique essentielle de tout Soviet des députés ouvriers, soldats et paysans, de toute société de consommation, de toute association ou comité de ravitaillement, de tout comité d’usine ou de tout organe de contrôle ouvrier en général. […] Le recensement et le contrôle, à condition qu’ils soient assurés par les Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, en leur qualité de pouvoir suprême de l’État, ou d’après les indications et au nom de ce pouvoir - le recensement et le contrôle généralisés, universels, absolus, de la quantité de travail et de la répartition des produits, - tel est le fond même de la transformation socialiste, une fois la domination politique du prolétariat acquise et assurée. […]

Pas de quartier pour ces ennemis du peuple, ces ennemis du socialisme, ces ennemis des travailleurs. Guerre à mort aux riches et à leurs pique-assiettes, les intellectuels bourgeois ; guerre aux filous, aux fainéants et aux voyous. Les uns et les autres sont frères jumeaux, la progéniture du capitalisme, les rejetons de la société des seigneurs et des bourgeois, où une poignée d’individus spoliait et bafouait le peuple, société où l’indigence et la misère poussaient des milliers et des milliers d’hommes dans la voie de la canaillerie, de la vénalité, de la filouterie, de l’oubli de la dignité humaine, société qui inculquait nécessairement aux travailleurs le désir d’échapper à l’exploitation, fût-ce par un subterfuge, de se tirer d’affaire, de se débarrasser, ne serait-ce que pour une minute, d’un travail rebutant. […]

Les riches et les filous sont les deux faces d’une même médaille ; ce sont les deux catégories principales de parasites nourris par le capitalisme ; ce sont les principaux ennemis du socialisme, des ennemis qu’il faut placer sous la surveillance particulière de toute la population, et contre qui il faut sévir implacablement à la moindre infraction aux règles et aux lois de la société socialiste. Toute faiblesse, toute hésitation, toute sentimentalité à cet égard seraient le plus grand des crimes envers le socialisme. […]
Des milliers de formes et de procédés pratiques de recensement et de contrôle visant les riches, les filous et les parasites doivent être mis au point et éprouvés pratiquement par les communes elles-mêmes, par les petites cellules à la campagne et à la ville. La diversité est ici un gage de vitalité, une promesse de succès dans la poursuite d’un même but unique : débarrasser la terre russe de tous les insectes nuisibles, des puces (les filous), des punaises (les riches) et ainsi de suite. Ici, on mettra en prison une dizaine de riches, une douzaine de filous, une demi-douzaine d’ouvriers qui tirent au flanc (à la manière de voyous, comme le font de nombreux typographes à Pétrograd, surtout dans les imprimeries des partis). Là, on les enverra nettoyer les latrines. Ailleurs, on les munira, au sortir du cachot, d’une carte jaune afin que le peuple entier puisse surveiller ces gens malfaisants jusqu’à ce qu’ils se soient corrigés. Ou encore, on fusillera sur place un individu sur dix coupables de parasitisme. […] » (Lénine, « Comment organiser l’émulation ? » [Décembre 1917], je souligne).

« Bonapartisme prolétarien » (Boukharine)

« Le capitalisme d’Etat, c’est […] ce capitalisme qui est étroitement lié à l’Etat ; quant à l’Etat, ce sont les travailleurs, c’est […] l’avant-garde, c’est nous ! » (Zionviev, Les Partis et tendances antisoviétiques, 1922, p. 8, cité dans Skirda 2000, p. 119).

« Les Tchéka pan-russes et locales doivent être les organes de la dictature du prolétariat, de la dictature inexorable du parti » (Peters, Revue hebdomadaire de la Tchéka, n° 27, 1918, cité dans Skirda 2000, p. 114).

« La dictature de la classe ouvrière ne peut être garantie que sous la forme de la dictature de son avant-garde [d’intellectuels bourgeois], c’est-à-dire du Parti communiste » (résolution finale du Comité central du Parti communiste au XIIème congrès, cité dans Skirda 2000, p. 108).

« Tout nous est permis, car nous avons été les premiers dans le monde entier à lever le glaive […] au nom de la liberté universelle et de la suppression de l’esclavage [sic] » (Le glaive rouge, n°1, 18 août 1918, je souligne, cité dans Skirda 2000, p. 115).

« Il vaut mieux avoir tort avec le parti […] que raison contre lui » (Victor Serge, L’An I de la révolution russe, les débuts de la dictature du prolétariat (1917-1918), Librairie du Travail, Paris, 1930, p. 105, cité dans Skirda 2000, p. 116).

Critiques contemporaines du bolchévisme

« Je dois vous avouer franchement que, à mon avis, cette tentative d’édifier une république communiste sur la base d’un communisme d’Etat fortement centralisé, sous la loi de fer de la dictature d’un parti, est en train d’aboutir à un fiasco. Nous apprenons à connaître, en Russie, comment le communisme ne doit pas être introduit » (Kropotkine, Lettre aux travailleurs de l’Europe occidentale, le 28 avril 1919, cité dans Skirda 2000, p. 81).

« Ce n’est pas la libération du prolétariat quand de nombreux pillards individuels sont remplacés par un seul pillard très puissant – l’Etat » (Maximox, porte-parole des anarcho-syndicalistes, lors du 1er congrès panrusse des syndicats, en janvier 1918, cité dans Skirda 2000, p. 92).

« Vous [les bolcheviks] êtes au pouvoir en Russie, mais qu’est-ce qui a changé ? Les usines et la terre ne sont toujours pas aux mains des travailleurs, mais dans celles de l’Etat-patron. Le salariat, le mal fondamental de l’ordre bourgeois, continue d’exister, c’est pour cela que sont inévitables la faim, le froid, et le chômage. À cause de la « nécessité de tout supporter » pour un avenir meilleur, de défendre « ce qui est déjà acquis », un énorme appareil bureaucratique est créé, le droit de grève est aboli, les droits à la parole, de réunion et de presse, sont supprimés […] Vous dites que la bourgeoisie est écartée et que la classe ouvrière est au pouvoir. Nous répondrons qu’il n’y a que quelques ouvriers au pouvoir, et encore ce sont d’anciens ouvriers, séparés de leur classe. Les opprimés ne peuvent être au pouvoir par définition ; même si le pouvoir se proclame « prolétarien », ce qui est alors le plus grand des mensonges. [...]
Nous croyons que vous pouvez avoir, personnellement, subjectivement, les meilleurs intentions mais objectivement […] vous êtes les représentants de la classe des bureaucrates-fonctionnaires, d’un groupe d’intellectuels improductifs. […] Nous appelons à l’insurrection immédiate pour la pain et la liberté, et nous défendront la liberté avec les armes de la liberté et non pas avec celles de l’esclavage » (tracté d’un groupe anarchiste adressé aux bolcheviks en 1919-1920, cité dans Skirda 2000, pp. 101-102).

« Aucun État, si démocratiques que soient ses formes, voire la république politique la plus rouge, populaire uniquement au sens de ce mensonge connu sous le nom de représentation du peuple, n’est en mesure de donner à celui-ci ce dont il a besoin, c’est-à-dire la libre organisation de ses propres intérêts, de bas en haut, sans aucune immixtion, tutelle ou contrainte d’en haut, parce que tout Etat, même le plus républicain et le plus démocratique, même pseudo-populaire comme l’Etat imaginé par M. Marx [dans le Manifeste du parti communiste de 1848 : il reviendra sur ces conceptions dans La guerre civile en France de 1871], n’est pas autre chose, dans son essence, que le gouvernement des masses de haut en bas par une minorité savante, et par cela même privilégiée » (Bakounine, Etatisme et anarchie, 1873).

« Dans une révolution faite initialement au nom de la réalisation du socialisme, il n’est pas commode de dire tout de go : « C’est nous maintenant les nouveaux messieurs et les nouveaux exploiteurs ». Il est tellement plus facile d’intituler le rapt des usines aux ouvriers « une victoire du mode de production socialiste », la mainmise de la bureaucratie sur le prolétariat « le renforcement de la dictature du prolétariat », et les nouveaux exploiteurs, « l’avant-garde du prolétariat ». Dès l’instant où les seigneurs avaient été « les protecteurs des paysans », la bourgeoisie, « l’avant-garde du peuple », les bureaucrates pouvaient bien être « l’avant-garde du prolétariat ». Les exploiteurs se sont toujours considérés comme l’avant-garde des exploités. […] Une fois de plus l’histoire devait montrer la justesse de cette phrase du vieil hymne révolutionnaire : « Il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun », la justesse de la formule du mouvement ouvrier : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » » (Anton Ciliga, Lénine et la Révolution, Paris, Spartacus, 1948, cité dans Skirda 2000, p. 120).

« Le grand groupe de combat autonome, le parti des Narodniki, se désintégra dans le feu de la révolution prolétarienne et la direction des combats passa aux mains de l’aile la plus à gauche du mouvement ouvrier, celle des bolcheviks. Ce parti de « révolutionnaires professionnels » ne pouvait naturellement abandonner son caractère sectaire et son esprit de caste ; il en imprégna aussi la IIIe Internationale. Pour eux, la « masse » n’est qu’un objet, jamais un sujet. Ils veulent gouverner eux-mêmes même à la façon d’une caste. Et quand ils se disputent pour la « masse », c’est seulement pour l’utiliser comme tremplin, comme socle pour leur dictature de parti, pour leur domination de caste. Pour conserver leur dictature de parti ou l’édifier, ils sont prêts à toutes les concessions, prêts à s’allier avec Dieu ou le Diable, utilisant tous les moyens, même les moins scrupuleux.

Cette conception fondamentale des bolcheviks a également donné son empreinte à la révolution russe dans son cours ultérieur. La volonté de domination de la caste des bolcheviks allait être l’ennemi de tout développement de la conscience de soi et de tout mouvement indépendant du prolétariat. À la longue, cette volonté de domination n’a pu se poursuivre que par le centralisme le plus strict, par la terreur la plus brutale contre le prolétariat lui-même. Toute initiative indépendante du prolétariat devait être étouffée avec le bâillon du centralisme et du bureaucratisme. Une dictature qui ne réussit pas à mobiliser les forces du prolétariat ne peut jamais conduire à l’édification du communisme ; elle est au contraire obligée de détruire tous les prodromes de la reconstruction. Tant que les prolétaires russes devaient encore se défendre face à des ennemis extérieurs et intérieurs issus du camp de la bourgeoisie, et que cette lutte exigeait naturellement la centralisation de toutes les forces révolutionnaires, la conscience de cette réalité fit encore défaut. Mais au moment où les combats diminuèrent, ce strict principe d’autorité, ce système de caste des bolcheviks, sous forme de dictature des dirigeants sur le parti et de dictature de parti sur le prolétariat, se manifestèrent au grand jour. » (Extrait du Programme du KAPD, Berlin, janvier 1924)